Hélas, la réalité rattrape Gudule…


La porte ! Mais quelle porte ? Une voix s’élève :« Votre attestation, s’il vous plait ? »Je sors le papier froissé de ma poche, en réprimant un bâillement.« Vous êtes en règle. Mais il ne faut pas stationner sur ce mur. »Le premier agent s’éloigne, le second me fait un clin d’œil bienveillant, rejoint son collègue : » C’est bizarre. C’est la troisième fois cette semaine que quelqu’un dort, perché sur le petit mur en face de la librairie. »

Bizarre, vous avez dit bizarre, comme c’est bizarre !

La librairie !!!…La librairie ???… C’est vrai, je suis en face de cette librairie abandonnée à laquelle je ne prête plus attention depuis longtemps. La peinture est si écaillée qu’il faut deviner les caractères de l’enseigne. Mais c’était bien une librairie. Les volets sont disjoints, exhibant les blessures infligées par les visiteurs indélicats. Les lambeaux de l’affiche d’un concert dansent encore, presque éthérés dans la brise d’automne ; on devine à peine une liste de candidats à une élection oubliée et l’avis de recherche d’un chat dont ne subsiste plus que la photo délavée. Heureusement qu’éclate le message subliminal : N…e ta m..e, pour réveiller en gros caractères noirs ces traces quelque peu moroses du passé.

Je descends du mur et je reprends mon sac, il est si lourd que j’ai fait une petite pause, mais il faut que je rentre chez moi. Quelle idée d’avoir acheté ce sac de pommes de terre en promotion ?

J’ai un peu mal à la tête en ayant la sensation diffuse d’avoir fait un rêve étrange. Mais je ne me souviens plus de rien. La rue est presque déserte. Quelques feuilles mortes glissent lentement sur le trottoir avant de venir mourir dans le caniveau. Le ciel est bleu, de ce bleu embrumé par l’automne. De temps à autre passe un voile plus épais, très vite gommé. En fait, le ciel est vide, totalement vide, sans vie, sans âme. Les grues sont-elles passées cette année ? Je ne les ai pas entendues.

Et je continue à marcher, voûtée. Le sac de pommes de terre est lourd, mais je l’ai déjà dit……

FIN

Gudule

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Cendrillon au temps du coronavirus

Le Petit Chaperon Rouge au temps du coronavirus

Drame dans la librairie

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Paysage depuis la fenêtre de Claire BRUNNER

Technique : Aquarelle

À gauche ( côte Ouest), vue sur le château du Charmois.
Au dessus, la colline sainte Catherine ( c’est la fin de la butte du Haut du Lièvre).
À droite, ( Est), plateau de Malzeville.
Dans le fond, ( Nord, en direction de Metz), Pixerecourt.

Claire Brunner

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C’est la panique dans la librairie où Gudule se trouve enfermée. Les volatiles sortis des livres des contes sont dans tous leurs états. Mais à la fin…

Soudain, une petite poule blanche vient sauter sur les genoux de Marinette. Nous la reconnaissons : c’est elle qui a réussi à trouver la solution du difficile problème que la maîtresse avait donné aux fillettes dans le conte de Marcel Aymé. Elle prévient qu’elle va faire un petit tour avant de revenir pondre un œuf.

Nous intervenons vivement. Non, non, et non. C’est la grippe aviaire, les volailles doivent être confinées. De désespoir, la petite poule émet ces cris stridents que le citadin ne supporte pas à la campagne. Très vite, les oies sauvages qui comprennent qu’elles vont être les premières accusées de transmettre ce virus se joignent au concert de lamentations, tout en rêvant des paradis lointains auxquels il leur faudra peut-être renoncer. Refusant d’être prisonniers, Le héron, le corbeau et leurs parents des fables scandent un chant de guerre, accompagnés par le bataillon de tous les oiseaux qui susurrent habituellement la romance sur les fenêtres des princesses.

Les oreilles cassées par tout ce tintamarre, nous sommes désespérés, surtout quand la cigogne déplore de ne plus pouvoir apporter de bébés en Alsace. Pour réparer notre erreur, nous prenons la parole, le plus fort que nous pouvons. La situation des bêtes à plume est moins grave que celle des visons qui sont tous tués dans les élevages au Danemark en raison d’une mutation du coronavirus. Le vison qui apparaît très peu dans les contes est méprisé comme tout étranger par les bêtes à poil présentes, même si on admire en secret le brillant et le soyeux de son pelage, mais cette nouvelle qui évoque un possible génocide affole tellement que les hurlements des loups se joignent aux cris des renards, des belettes et des petits lapins.

La situation devient incontrôlable, les plaintes se multipliant plus vite que le coronavirus. Une grenouille, bête ne portant ni poils ni plumes, veut profiter de cette agitation qui ne la concerne pas pour se faire aussi grosse que le bœuf. Emportée par son zèle, elle explose. Une conduite de gaz défaillante ? Une manif qui dégénère ? Un attentat ? C’est la panique.

Les étagères commencent à tanguer, les vagues de protestation nous submergent dans un océan de reproches, nous savons bien que nous sommes responsables, nous avons le mal de mer et pensons que nous allons couler.

Soudain, le volet de la librairie s’ouvre . Tout devient brusquement silencieux et paisible autour des rangées de livres poussiéreux que nous voyons à présent nettement. Même le grand méchant loup qui nous a fait si peur a disparu. Nous sommes stupéfaits. Pourquoi ce calme soudain ?

Mais qui a ouvert la porte?*

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Le mois de mai, Marie-France Vestier nous a invité à faire un tour par les tableaux célèbres qui représentent les 4 saisons au son de Vivaldi. Cette fois-ci, c’est Annie Rivelois qui nous propose cette vidéo. Il vaut la peine de la revoir.

Cliquez sur l’image pour accéder à la vidéo

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Toujours enfermée dans la librairie, Gudule rencontre les personnages sortis des livres…mais quelques uns ne sont pas sympathiques…

Ce hurlement qui retentit dans la pénombre de la librairie nous glace jusqu’ au sang, mais il nous donne des ailes et nous nous envolons là-haut, tout là-haut, entre deux ouvrages sur la dernière étagère.

C’est le tout petit jour, entre chien et loup. Devant la fente du volet passe un chien, pas de doute, c’est le chien des Baskerville qui rejoint le rayon des romans policiers. Alors ce cri horrible ne peut être que celui du …

NON !!!!!!! ! SI !!!!!!!

Maintenant, nous distinguons dans la pénombre ses grandes oreilles velues, ses yeux de braise, sa longue langue sanguinolente qui jaillit de sa gueule immense et surtout ses crocs acérés. C’est LE GRAND MECHANT LOUP. Il cherche, il nous cherche, c’est évident. Nous tremblons si fort d’épouvante et nos mâchoires claquent si violemment que toute l’étagère se met à vibrer, entraînant dans un dangereux mouvement d’oscillation tout ce qu’elle porte. Le livre voisin s’entrouvre alors sur deux petites filles tout d’abord contrariées d’avoir été dérangées en plein sommeil, mais très vite souriantes et gracieuses.

Nous reconnaissons Delphine et Marinette, elles connaissent bien le loup puisqu’il les a mangées. Dans le conte de Marcel Aymé, elles sont libérées par leurs parents et malgré cette désagréable mésaventure, elles continuent à trouver le loup sympathique. Elles nous rassurent : nous ne risquons rien. Le monstre ayant perdu l’odorat à cause du coronavirus, il ne peut nous détecter si nous reprenons notre sang-froid et restons tranquilles. Guidés par leur douce voix d’enfants des contes, nous suivons le triste destin du grand méchant loup.

Lorsque la rumeur d’un possible confinement s’est répandue par monts et vallées, Mère-Grand qui vivait encore dans sa maisonnette au fond de la forêt a été placée d’office dans un EHPAD afin qu’elle puisse vivre en toute sécurité à l’abri de la pandémie. Comme sa petite fille n’a plus le prétexte d’aller porter un pot de confiture à son aïeule et qu’elle ne peut plus se déplacer à plus d’un kilomètre de son domicile, elle n’a plus d’excuse pour traîner dans la forêt comme à son habitude. Maintenant, le loup erre affamé : plus de petit Chaperon Rouge, plus de Mère-Grand à se mettre sous la dent, même si cette dernière est plus coriace et moins appétissante.

Pendant ce récit, nous remarquons bien sur le rayon des fables un autre loup gras comme un moine bénédictin. Il n’a aucun problème lui pour trouver l’agneau dans les plaines et les montagnes de Lorraine. Il se moque discrètement de ce snob qui refuse de changer son régime alimentaire en période de crise. L’agneau reste un produit de première nécessité, ce qui n’est certainement pas le cas pour les grands-mères et les fillettes, mets habituel s du grand méchant loup qui continue à hurler sa colère et sa faim.

Il nous a fait tellement peur que nous refusons d’éprouver la moindre pitié à son égard, malgré les supplications de Delphine et Marinette.

Le jour se lève peu à peu et nous allons hélas oublier qu’il faut tourner sa langue sept fois avant de parler….*

Gudule

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La belle au bois dormant…au temps du coronavirus

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*Drame dans la librairie

Épilogue des contes de fées au temps de coronavirus

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Nous restons sagement dans notre périmètre d’un kilomètre autour de notre domicile…mais notre imagination, elle, s’envole vers les forêts enneigées grâce à Colette Laville-Dereau. Notre INTERLUDE de magie continue…

Prêtez-moi vos oreilles.
Là-bas, au fond de la forêt, par les nuits de pleine lune, il se passe des choses magiques.
C’est l’hiver, la neige recouvre tout le paysage, pas un bruit. Seul parfois un corbeau perce le silence de son « croa-croa ».
La forêt est là, magnifique avec la neige. Des milliers de cristaux scintillent le long des branches des sapins. Tout est feutré, ouaté.
Puis la nuit descend. Les étoiles s’allument dans le ciel de neige, semblables à des flocons qui seraient restés collés au ciel couleur marine. La lune se lève, monte tout doucement au-dessus des arbres, elle aussi entourée d’un halo cotonneux. Elle est ronde, pleine et elle brille, suspendue au-dessus de la forêt.
Soudain, une ombre se détache, rampe sur le sol. Quelle est cette ombre ?  Un animal ?  A-t-il des pattes ? Car cette ombre s’enfonce dans la neige souple, douce, profonde. L’ombre avance doucement. Elle avance…avance…sort de la futaie prudemment, s’arrête, écoute. Pas un bruit, alors elle peut continuer…et elle continue. Qui est-elle ? Où va-t-elle ? Elle avance toujours…avance…avance…avance…sûre d’elle, comme si elle avait un rendez-vous fixé d’avance. La lune brille…la lune éclaire la clairière où la bête –car s’en est une- vient d’arriver.

Là, commence la magie, le rêve. L’ombre n’est plus une ombre, mais un loup, un loup magnifique, un loup qui semble bleu dans la lueur de la nuit.
Aucun vent. Et pourtant c’est comme un bruissement, un murmure, une musique. Oui, c’est une musique.
Un piano joue quelque part dans cette forêt enchantée. Les premiers accords d’une valse lente se font entendre et le Loup Bleu, magnifique, s’élance, tourne, tourne, s’arrête, repart, sur le temps tantôt lent, tantôt rapide. Le Loup Bleu danse, caressé par les rayons de lune.
Puis, quand les étoiles s’éteignent une à une, comme dans une salle de bal, quand la lune, comme un chef d’orchestre, laisse la place au jour, quand le coq annonce une nouvelle journée, la forêt enchantée redevient calme, feutrée, ouatée sous la neige. Les cristaux scintillent sur les sapins comme des guirlandes oubliées de la nuit.
Personne ne peut soupçonner ce qui se passe les nuits d’hiver, les nuits de pleine lune.
Moi je sais. Et moi seule en ouvrant la fenêtre de ma chambre entend au loin une valse lente et imagine le Loup Bleu qui tourne, tourne, emporté par la mélodie de piano.

Pourtant…pourtant, lorsque vous vous allez vous promener en forêt, écoutez…écoutez prêtez vos oreilles au vent comme vous venez de me les prêter et je suis certaine que vous aussi vous entendrez la valse lente du Loup Bleu et vous laisserez emporter par la magie d’un tel instant.

 

Colette Laville-Dereau

 

Ce conte a reçu la Médaille d’Or à Pleneuf-Val-André (Bretagne) en 2006 et aussi le Grand Prix du Conte de Biscarosse en 2012

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